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Pour un parti de l'intelligence est le titre d'un manifeste
rédigé par Henri Massis et publié dans Le
Figaro du 19 juillet 1919. Fortement imprégné par le
maurrassisme de l'Action française, il constitue la
réponse des intellectuels de droite à la «
Déclaration de l'indépendance de l'Esprit »
rédigée par Romain Rolland et publiée le 26
juin de la même année dans le quotidien
L'Humanité. Selon le spécialiste de l'Action
française Eugen Weber, le Manifeste eut beaucoup de
succès et obtint la signature d'une part considérable
de l'intelligentsia conservatrice française de
l'époque.
Le contexte
La « Déclaration de l'Indépendance de l'esprit
» de Romain Rolland exhortait les intellectuels à
abandonner l'attitude qui avait été la leur durant la
Première Guerre mondiale, au cours de laquelle ils avaient,
chacun dans son camp, rejoint l'union patriotique, et défendu
l'effort de guerre. Ce faisant ils avaient, selon Rolland,
«avili» la pensée, en la faisant servir les
«intérêts égoïstes d'un clan
politique ou social, d'un État, d'une patrie ou d'une
classe.» Invitant donc les intellectuels à tirer les
leçons du passé, Rolland les exhortait à œuvrer
pour réaliser l'union fraternelle du « Peuple de tous
les hommes.
Trois semaines plus tard, dans le supplément
littéraire du Figaro, est publié un texte,
présenté comme la réponse à la
déclaration faite précédemment par
«certains intellectuels», dont les signataires du texte
du Figaro estiment qu'elle est de nature à troubler l'opinion
publique, qu'ils se donnent pour objectif de « guider »
et de « protéger » contre ce qu'ils qualifient de
« bolchévisme de la pensée. »
Le manifeste
Restaurer la Nation pour fédérer l'Europe
Contre l'internationalisme revendiqué par Romain Rolland,
Henri Massis et les cosignataires du manifeste entendent
défendre « l'esprit français », qui seul
doit permettre la régénération sprituelle,
morale et sociale de l'Occident, la défaite allemande devant
replacer la France comme centre du rayonnement intellectuel de
l'Europe :
«Nous croyons - et le monde croit avec nous
- qu'il est dans la destinée de notre race de défendre
les intérêts spirituels de l'humanité. La France
victorieuse veut reprendre sa place souveraine dans l'ordre de
l'esprit, qui est le seul ordre dans lequel s'exerce une domination
légitime.»
Ce rôle historique d'avant-garde de la défense de la
civilisation assigné à la France oblige les
intellectuels français, s'ils veulent prendre part à
ce combat civilisateur, à « s'appuyer sur une patrie
bien assise », et donc à se « rallier de toute
leur raison et de tout leur cœur aux doctrines qui protègent
et maintiennent l'existence de la France, aux idées
conservatrices de sa substance immortelle. »
L'internationalisme de la pensée doit s'appuyer sur une base
nationale, car « n'est-ce pas en se nationalisant qu'une
littérature prend une signification plus universelle, un
intérêt plus humainement général ?
» En travaillant à la restauration nationale «
c'est à l'Europe et à tout ce qui subsiste
d'humanité dans le monde que va [la] sollicitude » des
signataires du manifeste.
La restauration spirituelle
Massis voit comme un obstacle à la sauvegarde de
«l'esprit français» le primat accordé au
développement industriel et commercial du pays, et
l'idéologie matérialiste qui le sous-tend : bien
qu'ils appellent également de leurs vœux « cette
réforme économique et matérielle », les
signataires du manifeste ne le veulent pas qu'elle se fasse «
au détriment de l'esprit » : « ici comme
ailleurs, c'est l'intelligence qui prime tout », car c'est
elle la garante de la sauvegarde de la culture et de la morale, que
les « gens pratiques », tenants du « modernisme
industriel », tiennent pour quantité
négligeable6.
Cette réforme morale indispensable au bonheur de l'homme et
qui doit accompagner la réforme sociale, doit
nécessairement être d'inspiration catholique :
«Croyants, nous jugeons que l'Église
est la seule puissance morale légitime et qu'il n'appartient
qu'à elle de former les mœurs ; incroyants, mais
préoccupés du sort de la civilisation, l'alliance
catholique nous apparaît indispensable.»
Contre la «ploutocratie» et le
«Bolchévisme»
Inspirée par les « principes d'organisation
incomparable » que « la nation française a dans
son passé », et par l'Église catholique, dont
une des missions les plus évidentes « au cours des
siècles, a été de protéger
l'intelligence contre ses propres errements, d'empêcher
l'esprit humain de se détruire lui-même, le doute de
s'attaquer à la raison », « l'élite
intellectuelle » devient apte à accomplir la mission
dont elle est chargée, qui consiste à éclairer
et à défendre le peuple contre « la ruée
furieuse d'une ploutocratie qui se pose comme le parti de
l'ignorance organisée » ainsi que contre « ce
bolchévisme qui, dès l'abord, s'attaque à
l'esprit et à la culture afin de mieux détruire la
société, nation, famille, individu.»
Signataires et réactions
Le manifeste «Pour un parti de l'intelligence», qui
marque le point d'aboutissement de la conversion au maurassisme de
Henri Massis (antérieurement plus proche de Maurice
Barrès9), est signé par 54 personnalités,
notamment, outre Maurras lui-même, Jacques Bainville,
Eugène Marsan ou encore Georges Valois, tous membres ou
proches de L'Action française. Mais sont également
signataires d'anciens dreyfusards comme Daniel Halévy et
Jacques Maritain (également sensible aux idées de
Maurras)10. Ce sont en réalité des
représentants de toutes les tendances de la droite et de
l'extrême droite qui se retrouvent dans le soutien au
«parti de l'intelligence.» Par un trait
caractéristique de l'époque, et à la
différence de ce qui se passera après la Seconde
Guerre mondiale, ce sont alors les intellectuels d'extrême
droite qui dictent les thèmes qui deviendront « le fond
commun » des diverses droites intellectuelles.
Des débats houleux ont lieu à la rédaction de
la NRF afin de savoir si la revue de Jacques Rivière doit
soutenir le manifeste de Henri Massis. Ces tensions s'expliquent
notamment par le fait que Massis avait déjà
critiqué sévèrement certains auteurs de la NRF
dont André Gide, Romain Rolland et Jacques Rivière.
Finalement Henri Ghéon (qui, engagé comme
médecin sur le front de Belgique, avait retrouvé la
foi catholique) le signe à titre individuel, tandis que Jean
Schlumberger, après avoir hésité, lui refuse
son soutien en raison de sa référence constante au
catholicisme, Schlumberger étant d'origine protestante. Il se
prononce néanmoins en faveur du manifeste et précise :
« si j'étais catholique, j'aurais signé le
manifeste du parti de l'intelligence.» Jacques Rivière,
quant à lui, consacre un compte-rendu, défavorable
mais courtois, au texte de Henri Massis dans le numéro du 1er
septembre 1919 de la NRF. Rivière ne s'y était pas
trompé lorsqu'il écrivait dans ce même article
que « le parti de l'intelligence c'est, camouflée pour
la circonstance, l'éternelle Action française ».
Maurice Barrès décide de ne pas joindre son nom
à celui des signataires du manifeste, tout en indiquant qu'il
« applaudit » l'initiative.
Le 30 juillet 1919, un critique du journal le Pays «objecta au
Manifeste qu'aucun pays ne jouissait du monopole intellectuel
supposé par Massis». L'Action française comprit
de cette critique qu'elle faisait clairement apparaître la
ligne de démarcation entre patriotes et intellectuels de
gauche, c'est-à-dire « ceux qui n'avaient pas confiance
en leur patrie».
Le programme esquissé dans le manifeste trouve son
prolongement l'année suivante dans la création de la
Revue universelle (paraît à partir du 1er avril 1920)
fondée par Bainville et Massis, et à laquelle
collabore Jacques Maritain (il s'en retire en 1926, suite à
la condamnation de l'Action française par le pape Pie XI).
Les fonds nécessaires à création de ce
périodique venaient d'une partie du million laissé
à Maurras et Maritain par le riche royaliste Pierre Vilard.
Des cotisations furent également demandées aux
signataires du manifeste.
Sur le thème de la «défense de
l'Occident», Henri Massis publiera un essai du même nom
en 1927, puis rédigera en 1935 un manifeste : le «
Manifeste des intellectuels français pour la défense
de l'Occident et la paix en Europe », destiné à
soutenir l'invasion de l'Éthiopie par l'Italie fasciste.